FT-CI

Le rôle du PTS au cours du processus ã Zanon

07/05/2010

Lorsque Naomi Klein, la cinéaste canadienne réalisatrice de The Take, m’a demandé qui avait dirigé le processus ã Zanon, raconte Raúl Godoy, si il avait été mené par des trotskystes orthodoxes conspirateurs ou si à l’inverse il avait été porté spontanément par la classe ouvrière, je lui ai répondu que le mouvement avait été mené par les ouvriers combatifs, bien évidemment, mais que sans un parti révolutionnaire qui ayant apporté à la lutte une stratégie, le mouvement des céramistes n’aurait pas été ce qu’il a été. Le processus de Zanon est le fruit de la combinaison de la combativité de classe et de l’apport stratégique et politique du PTS.

Ce que Godoy souligne ici, c’est bien ce que les néo-autonomistes à la Negri ou proches de la gauche autonome qui a été énormément été influencée par le processus de Zanon ne peut expliquer : pourquoi Zanon est un cas unique par rapport à la question du développement de la conscience de classes et de l’organisation ouvrière dans un pays qui a pourtant connu plus de deux cents entreprises qui, ã un moment ou un autre (et même encore actuellement), ont été gérées sans patron, à la suite de la débâcle capitaliste de 2001. Le fondement de cette explication réside en le rôle joué par le PTS tout au long du processus ã Zanon.

Fusion entre marxisme et avant-garde de classe

Au début de la lutte ã Zanon, la première chose sur laquelle Godoy a dû convaincre le reste des délégués qui avaient gagné la Commission Interne (syndicat d’entreprise) en octobre 1998, c’était qu’ils devaient avoir un programme et un objectif. Désormais, tout devait être discuté et voté en assemblée ; le syndicat aurait défendre non seulement les céramistes en CDI mais également les intérimaires et les précaires ; les délégués seraient révocables par l’assemblée. Voilà quelques unes des propositions que Godoy avance dès 1998.

Après la première victoire qu’avait été la grève de neuf jours de juin 2000, le premier grand défi a été d’affronter le premier plan social patronal en 2001. Au nom de la crise économique, la direction de l’usine entendait réduire les effectifs. Les hypothèses débattues par les travailleurs en assemblée étaient d’accepter les licenciements ou le chômage technique en échange de primes de licenciement ou d’indemnisations, comme cela se fait aujourd’hui en Europe par exemple, ou alors lutter coûte que coûte pour le maintien de l’emploi. L’AG a fini par exiger l’ouverture des livres de compte de l’entreprise, afin que les patrons « montrent les millions de pesos qu’ils ont gagnés ces dernières années » disaient les ouvriers. C’est ainsi que la grève de 34 jours, qui a été victorieuse, a été préparée. C’est ainsi que les idées du trotskysme commençaient ã pénétrer dans le corps ouvrier alors qu’à l’extérieur de l’usine la crise capitaliste qui touchait à l’époque l’Argentine faisait rage.

Une des bagarres qu’on a dû mener, raconte encore Godoy, c’est la question du respect excessif des lois… Ça a été une grande discussion parce que la bureaucratie bourre le crâne des ouvriers en leur disant que les lois des exploiteurs, il faut il faut les accepter... Les collègues se sont néanmoins convaincus eux-mêmes, ã travers la discussion et dans la lutte, que la clé ce n’est pas le code pénal ni la légalité bourgeoise mais bien le rapport de force de forces entre les classes. On a dû beaucoup se bagarrer par rapport à la question des préjugés que la bourgeoisie nous met dans la tête pour pas qu’on ne remette pas en question la propriété privée, ses lois et ses institutions. Un parti révolutionnaire a l’obligation de combattre ces préjugés et montrer théoriquement et dans l’action que la lutte de classes, comme le montre l’histoire du mouvement ouvrier mondial, ne peut s’arrêter face ã un tampon du tribunal ou un papier d’huissier. La question centrale, c’est évaluer le véritable rapport de force existant ã un moment donné.
Ces questions, ce ne sont pas les travailleurs qui les ont posées spontanément. C’est le parti, une direction consciente, qui les a soulevées. La lutte de classes, ce n’est pas seulement un combat patrons contre ouvriers, mais contre la classe capitaliste et son État, ses institutions. C’est, au bout du compte, une lutte politique.

L’alliance ouvrière-populaire pour gagner

Un des combats centraux que le PTS a menés au cours de la lutte ã Zanon a été la question de l’alliance ouvrière et populaire. Cette alliance a pris, au fil de la lutte, des formes diverses, proposées la plupart du temps à l’initiative des camarades du parti. Cela a commencé par l’accord entre les travailleurs de Zanon et la communauté Mapuche, puis par l’unité ouvrière-étudiante, dans le sillage des expériences les plus avancées des années 1970, mais également avec le pacte ouvrier-universitaire, repris de l’expérience des trotskystes boliviens, grâce auquel l’Université du Comahue a collaboré et continue ã collaborer avec la planification de la production.
Le mot d’ordre selon lequel « Zanon appartient au peuple » a été un slogan central de tout le processus, permettant de combattre concrètement pour l’hégémonie ouvrière. Le slogan et le combat qui l’accompagnait soulignaient que l’usine n’était en rien la propriété des travailleurs mais que ces derniers voulaient mettre l’entreprise au service de la population, en fonction des nécessités des classes populaires, notamment ã travers un plan de construction de logements publics.

Les travailleurs ont également lutté constamment pour mettre en place un front unique avec les syn-dicats et la CTA provinciale, mais également avec le reste des entreprises récupérées. Cela s’est no-tamment fait autour de Rencontres, à l’initiative des Zanon, dans lesquelles se retrouvaient toutes les entreprises « récupérées » du pays, sans sectarisme aucun puisque même les usines refusant le mot d’ordre de nationalisation sous contrôle ouvrier et optant pour la mise en place de coopératives intégrées au régime y participaient. C’est ã partir de ce moment-là qu’a pris corps le mot d’ordre popularisé par Godoy, « S’ils [le gouvernement, les patrons, la police] touchent ã une entreprise, c’est nous tous qui sommes visés ».

C’est notamment avec l’usine de confection Brukman de Buenos Aires, où le PTS avait une responsabilité toute particulière dans la direction du conflit, que cette fraternité s’est le plus développée. L’alliance ouvrière et populaire a été essentielle pour la poursuite de la lutte dans le temps mais également pour la commercialisation, dans un premier moment, des palettes de revêtement céramique, et ce grâce à l’accord passé avec les Mères de la Place de Mai.

Cette alliance enfin a été pleinement développée vis-à-vis des mouvements de chômeurs combatifs. Ce ne sont d’ailleurs pas seulement de jeunes travailleurs au chômage du MTD de Neuquén qui ont été embauchés par la gestion ouvrière ã Zanon. Sur proposition du PTS des militants de l’ensemble des mouvements piqueteros de la région, organisés au sein de structures liées ã des courants politiques adversaires du PTS, ont pourtant été embauchés. Mais ce faisant, c’est l’ensemble du camp des travailleurs qui se trouvait renforcé, et c’est pour cela que nous avons défendu cette perspective. C’est en cela également que Zanon se distingue du reste du mouvement des entreprises récupérées.

Auto-organisation ouvrière et parti

Lutter pour le développement des tendances à l’au-to-organisation et à l’autodétermination ouvrières –ce que nous appelons la « stratégie soviétiste »-, et ce afin de dépasser les barrières corporatistes des syndicats, voilà ce qui devrait être l’orientation des révolutionnaires. C’est ce qu’a défendu le PTS dès le début du conflit. Le parti a été à l’initiative de la proposition de lancement du journal Nuestra Lucha qui a été un des drapeaux de Zanon et s’est fait le porte-parole au niveau national des entreprises en lutte. C’est également sur initiative du PTS qu’a vu le jour l’expérience de la Coordination de l’Alto Valle qui, par delà sa durée dans le temps, a laissé une empreinte profonde au sein de l’avant-garde ouvrière et populaire de Neuquén.
A partir du moment où Godoy a commencé ã diriger la Commission Interne de Zanon le travail politique du PTS au niveau régional s’est également renforcé. Mariano Pedrero, jeune avocat spécialiste en droit du travail, limitant du PTS, y a grandement contribué. Il a commencé ã partir de ce moment-là ã devenir « l’avocat des céramistes ». C’est lui qui a notamment conseillé les céramistes au cours de l’élaboration du nouveau statut du SOECN. Ces nouveaux statuts sont centraux pour le mouvement ouvrier argentin dominé depuis soixante ans par le péronisme et au sein duquel la gauche radicale, y compris l’extrême gauche trotskyste, n’a jamais lutté pour une transformation aussi élémentaire que cela puisse paraître des statuts bureaucratiques et pro-bourgeois des syndicats lorsqu’elle accédait à leur direction.

Le PTS a également joué un rôle décisif au sein du processus de production sous gestion ouvrière directe. C’est notre camarade Carlos « Manotas » Saavedra qui a été élu premier coordinateur général de la production et a été un des artisans de l’organisation ouvrière qui a permis la production des premiers 20.000 m² mensuels de revêtement qui au bout de deux ans sont arrivés ã 350.000 m². Les ouvriers céramistes du PTS ont donc joué un rôle central au sein des « deux jambes », comme ils disent, qui permettent à l’usine de marcher : la « jambe » politique et la « jambe » productive.
Le PTS a également insisté sur la dimension concrète de l’internationalisme ouvrier en essayant de développer le plus possible, chaque fois que cela était possible, les tournées des ouvriers céramistes à l’étranger, avec des voyages particulièrement réussis, dès 2002, en France, en Allemagne, dans l’Etat espagnol et en Italie, et qui se poursuivent aujourd’hui.

La question de l’indépendance politique, sur laquelle les secteurs combatifs du syndicalisme anti-bureaucratique ont encore ã avancer, est également une baggare qu’a mené le PTS ã Zanon et que les céramistes reprennent maintenant. Aujourd’hui en 2009, avec l’apparition d’un courant politico-syndical ã un niveau national qui reprend ce drapeau et défend la nécessité de conistruire dans le pays un « instrument politique des travailleurs » avec d’autres secteurs de l’avant-garde ouvrière comme l’aile gauche des dirigeants du métro de Buenos Aires ou de Kraft Foods, c’est un enjeu essentiel pour préparer la poussée ouvrière que pourrait connaître l’Argentine dans un futur proche.

Notes liées

No hay comentarios a esta nota